Andre Marie de Chenier - Aux Deux Freres TrudaineAndre Marie de Chenier - Aux Deux Freres Trudaine
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Amis, couple chéri, coeurs formés pour le mien,
Je suis libre. Camille à mes yeux n`est plus rien.
L`éclat de ses yeux noirs n`éblouit plus ma vue;
Mais cette liberté sera bientôt perdue.
Je me connais. Toujours je suis libre et je sers;
Être libre pour moi n`est que changer de fers.
Autant que l`univers a de beautés brillantes,
Autant il a d`objets de mes flammes errantes.
Mes amis, sais-je voir d`un oeil indifférent
Ou l`or des blonds cheveux sur l`albâtre courant,
Ou d`un flanc délicat l`élégante noblesse,
Ou d`un luxe poli la savante richesse?
Sais-je persuader à mes rêves flatteurs
Que les yeux les plus doux peuvent être menteurs?
Qu`une bouche où la rose, où le baiser respire,
Peut cacher un serpent à l`ombre d`un sourire?
Que sous les beaux contours d`un sein délicieux
Peut habiter un coeur faux, parjure, odieux?
Peu fait à soupçonner le mal qu`on dissimule,
Dupe de mes regards, à mes désirs crédule,
Elles trouvent mon coeur toujours prêt à s`ouvrir,
Toujours trahi, toujours je me laisse trahir.
Je leur crois des vertus dès que je les vois belles,
Sourd à tous vos conseils, ô mes amis fidèles!
Relevé d`une chute, une chute m`attend;
De Charybde à Scylla toujours vague et flottant,
Et toujours loin du bord jouet de quelque orage,
Je ne sais que périr de naufrage en naufrage.
Ah! je voudrais n`avoir jamais reçu le jour
Dans ces vaines cités que tourmente l`amour,
Où les jeunes beautés, par une longue étude,
Font un art des serments et de l`ingratitude,
Heureux loin de ces lieux éclatants et trompeurs,
Eh! qu`il eût mieux valu naître un de ces pasteurs
Ignorés dans le sein de leurs Alpes fertiles,
Que nos yeux ont connus fortunés et tranquilles!
Oh! que ne suis-je enfant de ce lac enchanté Où trois pâtres héros ont à la liberté Rendu tous leurs neveux et l`Helvétie entière!
Faible, dormant encor sur le sein de ma mère,
Oh! que n`ai-je entendu ces bondissantes eaux,
Ces fleuves, ces torrents, qui de leurs froids berceaux
Viennent du bel Hasly nourrir les doux ombrages!
Hasly! frais Élysée! honneur des pâturages!
Lieu qu`avec tant d`amour la nature a formé,
Où l`Aar roule un or pur en son onde semé. Là, je verrais, assis dans ma grotte profonde,
La génisse traînant sa mamelle féconde,
Prodiguant à ses fils ce trésor indulgent,
A pas lents agiter sa cloche au son d`argent,
Promener près des eaux sa tête nonchalante.
Ou de son large flanc presser l`herbe odorante.
Le soir, lorsque plus loin, s`étend l`ombre des monts,
Ma conque, rappelant mes troupeaux vagabonds,
Leur chanterait cet air si doux à ces campagnes,
Cet air que d`Appenzell répètent les montagnes.
Si septembre, cédant au long mois qui le suit,
Marquait de froids zéphirs l`approche de la nuit,
Dans ses flancs colorés une luisante argile
Garderait sous mon toit un feu lent et tranquille,
Ou, brûlant sur la cendre à la fuite du jour,
Un mélèze odorant attendrait mon retour.
Une rustique épouse et soigneuse et zélée,
Blanche (car sous l`ombrage au sein de la vallée Les fureurs du soleil n`osent les outrager),
M`offrirait le doux miel, les fruits de mon verger,
Le lait, enfant des sels de ma prairie humide,
Tantôt breuvage pur et tantôt mets solide,
En un globe fondant sous ses mains épaissi,
En disque savoureux à la longue durci;
Et cependant sa voix simple et douce et légère
Me chanterait les airs que lui chantait sa mère.
Hélas! aux lieux amers où je suis enchaîné,
Ce repos à mes jours ne fut point destiné. J`irai: Je veux jamais ne revoir ce rivage.
Je veux, accompagné de ma muse sauvage,
Revoir le Rhin tomber en des gouffres profonds,
Et le Rhône grondant sous d`immenses glaçons,
Et d`Arve aux flots impurs la nymphe injurieuse.
Je vole, je parcours la cime harmonieuse
Où souvent de leurs cieux les anges descendus,
En des nuages d`or mollement suspendus,
Emplissent l`air des sons de leur voix éthérée.
O lac, fils des torrents! ô Thun, onde sacrée!
Salut, monts chevelus, verts et sombres remparts
Qui contenez ses flots pressés de toutes parts!
Salut, de la nature admirables caprices,
Où les bois, les cités, pendent en précipices!
Je veux, je veux courir sur vos sommets touffus;
Je veux, jouet errant de vos sentiers confus,
Foulant de vos rochers la mousse insidieuse,
Suivre de mes chevreaux la trace hasardeuse;
Et toi, grotte escarpée et voisine des cieux,
Qui d`un ami des saints fus l`asile pieux,
Voûte obscure où s`étend et chemine en silence
L`eau qui de roc en roc bientôt fuit et s`élance,
Ah! sous tes murs, sans doute, un coeur trop agité Retrouvera la joie et la tranquillité!
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