Andre Marie de Chenier - Fumant Dans Le CristalAndre Marie de Chenier - Fumant Dans Le Cristal
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Fumant dans le cristal, que Bacchus à longs flots
Partout aille à la ronde éveiller les bons mots.
Reine de mes banquets, que Lycoris y vienne;
Que des fleurs de sa tête elle pare la mienne;
Pour enivrer mes sens, que le feu de ses yeux
S`unisse à la vapeur des vins délicieux.
Amis, que ce bonheur soit notre unique étude;
Nous en perdrons sitôt la charmante habitude!
Hâtons-nous, l`heure fuit. Hâtons-nous de saisir
L`instant, le seul instant donné pour le plaisir.
Un jour, tel est du sort l`arrêt inexorable,
Vénus, qui pour les dieux fit le bonheur durable,
A nos cheveux blanchis refusera des fleurs,
Et le printemps pour nous n`aura plus de couleurs.
Qu`un sein voluptueux, des lèvres demi-closes
Respirent près de nous leur haleine de roses;
Que Phryné sans réserve abandonne à nos yeux
De ses charmes secrets les contours gracieux.
Quand l`âge aura sur nous mis sa main flétrissante,
Que pourra la beauté, quoique toute-puissante?
Vainement exposée à nos regards confus,
Nos coeurs en la voyant ne palpiteront plus.
Il faudra bien qu`armés de la philosophie,
Oubliant le plaisir alors qu`il nous oublie,
La science nous offre un utile secours
Qui dispute à l`ennui le reste de nos jours.
C`est alors qu`exilé dans mon champêtre asile,
De l`antique sagesse admirateur tranquille,
Du mobile univers interrogeant la voix,
J`irai de la nature étudier les lois:
Par quelle main sur soi la terre suspendue
Voit mugir autour d`elle Amphitrite étendue;
Quel Titan foudroyé respire avec effort
Des cavernes d`Etna la ruine et la mort;
Quel bras guide les cieux; à quel ordre enchaîné
Le soleil bienfaisant nous ramène l`année;
Quel signe aux ports lointains arrête l`étranger;
Quel autre sur la mer conduit le passager,
Quand sa patrie absente et longtemps appelée Lui fait tenter l`Euripe et les flots de Malée;
Et quel, de l`abondance heureux avant-coureur,
Arme d`un aiguillon la main du laboureur.
Cependant jouissons; l`âge nous y convie.
Avant de la quitter, il faut user la vie.
Le moment d`être sage est voisin du tombeau.
Allons, jeune homme, allons, marche; prends ce flambeau.
Marche, allons. Mène-moi chez ma belle maîtresse.
J`ai pour elle aujourd`hui mille fois plus d`ivresse.
Je veux que des baisers plus doux, plus dévorants,
N`aient jamais vers le ciel tourné ses yeux mourants.
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