Victor Hugo - Je la revois, après vingt ans, l`île où DécembreVictor Hugo - Je la revois, après vingt ans, l`île où Décembre
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Je la revois, après vingt ans, l`île où Décembre
Me jeta, pâle naufragé.
La voilà ! c`est bien elle. Elle est comme une chambre
Où rien encor n`est dérangé.
Oui, c`était bien ainsi qu`elle était ; il me semble
Qu`elle rit, et que j`aperçois
Le même oiseau qui fuit, la même fleur qui tremble,
La même aurore dans les bois ;
Il me semble revoir, comme au fond d`un mirage,
Les champs, les vergers, les fruits mûrs,
Et dans le firmament profond le même orage,
Et la même herbe au pied des murs,
Et le même toit blanc qui m`attend et qui m`aime,
Et, par delà le flot grondeur,
La même vision d`un éden, dans la même
Éblouissante profondeur.
Oui, je la reconnais cette grève enchantée,
Comme alors elle m`apparut,
Rive heureuse où l`on cherche Acis et Galatée,
Où l`on trouve Booz et Ruth ;
Car il n`est pas de plage, ou de montagne, ou d`île,
Parmi les abîmes amers,
Mieux faite pour cacher les roses de l`idylle
Sous la tragique horreur des mers.
Ciel ! océan ! c`était cette même nature,
Gouffre de silence et de bruit,
Ayant on ne sait quelle insondable ouverture
Sur la lumière et sur la nuit.
Oui, c`étaient ces hameaux, oui, c`étaient ces rivages ;
C`était le même aspect mouvant,
La même âcre senteur de bruyères sauvages,
Les mêmes tumultes du vent ;
C`était la même vague arrachant aux décombres
Les mêmes dentelles d`argent ;
C`étaient les mêmes blocs jetant les mêmes ombres
Au même éternel flot changeant ;
C`étaient les mêmes caps que l`onde ignore et ronge,
Car l`âpre mer, pleine de deuils,
Ne s`inquiète pas, dans son effrayant songe,
De la figure des écueils ;
C`était la même fuite immense des nuées ;
Sur ces monts, où Dieu vient tonner,
Les mêmes cimes d`arbre, en foule remuées,
N`ont pas fini de frissonner ;
C`était le même souffle ondoyant dans les seigles ;
Je crois revoir sur l`humble pré
Les mêmes papillons, avec les mêmes aigles
Sur l`océan démesuré ;
C`était le même flux couvrant l`île d`écume,
Comme un cheval blanchit le mors ;
C`était le même azur, c`était la même brume.
Et combien vivaient, qui sont morts !
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