Victor Hugo - Ce qu`on entend sur la montagneVictor Hugo - Ce qu`on entend sur la montagne
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Ô altitudo !
Avez-vous quelquefois, calme et silencieux,
Monté sur la montagne, en présence des cieux ?
Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ?
Aviez-vous l`océan au pied de la montagne ?
Et là, penché sur l`onde et sur l`immensité,
Calme et silencieux, avez-vous écouté ?
Voici ce qu`on entend : - du moins un jour qu`en rêve
Ma pensée abattit son vol sur une grève,
Et, du sommet d`un mont plongeant au gouffre amer,
Vit d`un côté la terre et de l`autre la mer,
J`écoutai, j`entendis et jamais voix pareille
Ne sortit d`une bouche et n`émut une oreille.
Ce fut d`abord un bruit large, immense, confus,
Plus vague que le vent dans les arbres touffus,
Plein d`accords éclatants, de suaves murmures,
Doux comme un chant du soir, fort comme un choc d`armures
Quand la sourde mêlée étreint les escadrons
Et souffle, furieuse, aux bouches des clairons.
C`était une musique ineffable et profonde,
Qui, fluide, oscillait sans cesse autour du monde,
Et dans les vastes cieux, par ses flots rajeunis,
Roulait élargissant ses orbes infinis
Jusqu`au fond où son flux s`allait perdre dans l`ombre
Avec le temps, l`espace et la forme et le nombre.
Comme une autre atmosphère épars et débordé,
L`hymne éternel couvrait tout le globe inondé.
Le monde, enveloppé dans cette symphonie,
Comme il vogue dans l`air, voguait dans l`harmonie.
Et pensif, j`écoutais ces harpes de l`éther,
Perdu dans cette voix comme dans une mer.
Bientôt je distinguai, confuses et voilées,
Deux voix, dans cette voix l`une à l`autre mêlées,
De la terre et des mers s`épanchant jusqu`au ciel,
Qui chantaient à la fois le chant universel ;
Et je les distinguai dans la rumeur profonde,
Comme on voit deux courants qui se croisent sous l`onde.
L`une venait des mers ; chant de gloire ! hymne heureux !
C`était la voix des flots qui se parlaient entre eux ;
L`autre, qui s`élevait de la terre où nous sommes,
Était triste ; c`était le murmure des hommes ;
Et dans ce grand concert, qui chantait jour et nuit,
Chaque onde avait sa voix et chaque homme son bruit.
Or, comme je l`ai dit, l`océan magnifique
Épandait une voix joyeuse et pacifique,
Chantait comme la harpe aux temples de Sion,
Et louait la beauté de la création.
Sa clameur, qu`emportaient la brise et la rafale,
Incessamment vers Dieu montait plus triomphale,
Et chacun de ses flots que Dieu seul peut dompter,
Quand l`autre avait fini, se levait pour chanter.
Comme ce grand lion dont Daniel fut l`hôtel,
L`océan par moments abaissait sa voix haute ;
Et moi je croyais voir, vers le couchant en feu,
Sous sa crinière d`or passer la main de Dieu.
Cependant, à côté de l`auguste fanfare,
L`autre voix, comme un cri de coursier qui s`effare,
Comme le gond rouillé d`une porte d`enfer,
Comme l`archet d`airain sur la lyre de fer,
Grinçait ; et pleurs, et cris, l`injure, l`anathème,
Refus du viatique et refus du baptême,
Et malédiction, et blasphème, et clameur ;
Dans le flot tournoyant de l`humaine rumeur
Passaient, comme le soir on voit dans les vallées
De noirs oiseaux de nuit qui s`en vont par volées.
Qu`était-ce que ce bruit dont mille échos vibraient ?
Hélas ! c`était la terre et l`homme qui pleuraient.
Frère ! de ces deux voix étranges, inouïes,
Sans cesse renaissant, sans cesse évanouies,
Qu`écoute l`Éternel durant l`éternité,
L`une disait : NATURE ! et l`autre : HUMANITÉ !
Alors je méditai ; car mon esprit fidèle,
Hélas ! n`avait jamais déployé plus grande aile ;
Dans mon ombre jamais n`avait lui tant de jour ;
Et je rêvai longtemps, contemplant tour à tour,
Après l`abîme obscur que me cachait la lame,
L`autre abîme sans fond qui s`ouvrait dans mon âme.
Et je me demandai pourquoi l`on est ici,
Quel peut être après tout le but de tout ceci,
Que fait l`âme, lequel vaut mieux d`être ou de vivre,
Et pourquoi le Seigneur, qui seul lit à son livre,
Mêle éternellement dans un fatal hymen
Le chant de la nature au cri du genre humain ?
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