Victor Hugo - Chanson des oiseauxVictor Hugo - Chanson des oiseaux
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Vie ! ô bonheur ! bois profonds,
Nous vivons.
L`essor sans fin nous réclame ;
Planons sur l`air et les eaux !
Les oiseaux
Sont de la poussière d`âme.
Accourez, planez ! volons
Aux vallons,
A l`antre, à l`ombre, à l`asile !
Perdons-nous dans cette mer
De l`éther
Où la nuée est une île !
Du fond des rocs et des joncs,
Des donjons,
Des monts que le jour embrase,
Volons, et, frémissants, fous,
Plongeons-nous
Dans l`inexprimable extase !
Oiseaux, volez aux clochers,
Aux rochers,
Au précipice, à la cime,
Aux glaciers, aux lacs, aux prés ;
Savourez
La liberté de l`abîme!
Vie ! azur ! rayons ! frissons !
Traversons
La vaste gaîté sereine,
Pendant que sur les vivants,
Dans les vents,
L`ombre des nuages traîne !
Avril ouvre à deux battants
Le printemps ;
L`été le suit, et déploie
Sur la terre un beau tapis
Fait d`épis,
D`herbe, de fleurs, et de joie.
Buvons, mangeons ; becquetons
Les festons
De la ronce et de la vigne ;
Le banquet dans la forêt
Est tout prêt ;
Chaque branche nous fait signe.
Les pivoines sont en feu ;
Le ciel bleu
Allume cent fleurs écloses ;
Le printemps est pour nos yeux
Tout joyeux
Une fournaise de roses.
Tu nous dores aussi tous,
Feu si doux
Qui du haut des cieux ruisselles ;
Les aigles sont dans les airs
Des éclairs,
Les moineaux des étincelles.
Nous rentrons dans les rayons ;
Nous fuyons
Dans la clarté notre mère ;
L`oiseau sort de la forêt
Et paraît
S`évanouir en lumière.
Parfois on rampe accablé
Dans le blé ;
Mais juillet a pour ressource
L`ombre, où, loin des chauds sillons,
Nous mouillons
Nos pieds roses dans la source.
Depuis qu`ils sont sous les cieux,
Soucieux
Du bonheur de la prairie,
L`herbe et l`arbre chevelu
Ont voulu
Dans leur tendre rêverie
Qu`à jamais le fruit, le grain,
L`air serein,
L`amourette, la nichée,
L`aube, la chanson, l`appât,
Occupât
Notre joie effarouchée.
Vivons ! chantons ! Tout est pur
Dans l`azur ;
Tout est beau dans la lumière !
Tout vers son but, jour et nuit,
Est conduit ;
Sans se tromper, le fleuve erre.
Toute la campagne rit ;
Un esprit
Palpite sous chaque feuille.
- Aimons ! murmure une voix
Dans les bois ;
Et la fleur veut qu`on la cueille.
Quand l`iris a diapré
Tout le pré,
Quand le jour plus tiède augmente,
Quand le soir luit dans l`étang
Éclatant,
Quand la verdure est charmante,
Que dit l`essaim ébloui ?
Oui ! oui ! oui !
Les collines, les fontaines,
Les bourgeons verts, les fruits mûrs,
Les azurs
Pleins de visions lointaines,
Le champ, le lac, le marais,
L`antre frais,
Composent, sans pleurs ni peine,
Et font monter vers le ciel
Éternel
L`affirmation sereine !
L`aube et l`éblouissement
Vont semant
Partout des perles de flamme ;
L`oiseau n`est pas orphelin ;
Tout est plein
De la mystérieuse âme !
Quelqu`un que l`on ne voit pas
Est là-bas
Dans la maison qu`on ignore ;
Et cet inconnu bénit
Notre nid,
Et sa fenêtre est l`aurore.
Et c`est à cause de lui
Que l`appui
Jamais ne manque à nos ailes,
Et que les colombes vont
Sur le mont
Boire où boivent les gazelles.
Grâce à ce doux inconnu,
Adam nu
Nous souriait sous les branches ;
Le cygne sous le bouleau
A de l`eau
Pour laver ses plumes blanches.
Grâce à lui, le piquebois
Vit sans lois,
Chéri des pins vénérables,
Et délivrant des fourmis
Ses amis
Les cèdres et les érables.
Grâce à lui, le passereau
Du sureau
S`envole, et monte au grand orme ;
C`est lui qui fait le buisson
De façon
Qu`on y chante et qu`on y dorme.
Il nous met tous à l`abri,
Colibri,
Chardonneret, hochequeue,
Tout l`essaim que l`air ravit
Et qui vit
Dans la grande lueur bleue.
A cause de lui, les airs
Et les mers,
Les bois d`aulnes et d`yeuses,
La sauge en fleur, le matin,
Et le thym,
Sont des fêtes radieuses ;
Les blés sont dorés, les cieux
Spacieux,
L`eau joyeuse et l`herbe douce ;
Mais il se fâche souvent
Quand le vent
Nous vole nos brins de mousse.
Il dit au vent : - Paix, autan !
Et va-t`en !
Laisse mes oiseaux tranquilles.
Arrache, si tu le veux,
Leurs cheveux
De fumée aux sombres villes !
Celui sous qui nous planons
Sait nos noms.
Nous chantons. Que nous importe ?
Notre humble essor ignorant
Est si grand !
Notre faiblesse est si forte !
La tempête au vol tonnant,
Déchaînant
Les trombes, les bruits, les grêles,
Fouettant, malgré leurs sanglots,
Les grands flots,
S`émousse à nos plumes frêles.
Il veut les petits contents,
Le beau temps,
Et l`innocence sauvée ;
Il abaisse, calme et doux,
Comme nous,
Ses ailes sur sa couvée.
Grâce à lui, sous le hallier
Familier
A notre aile coutumière,
Sur les mousses de velours,
Nos amours
Coulent dans de la lumière.
Il est bon ; et sa bonté
C`est l`été ;
C`est le charmant sorbier rouge ;
C`est que rien ne vienne à nous
Dans nos trous
Sans que le feuillage bouge.
Sa bonté, c`est Tout ; c`est l`air,
Le feu clair,
Le bois où, dans la nuit brune,
Ta chanson, qui prend son vol,
Rossignol,
Semble un rêve de la lune.
C`est ce qu`au gré des saisons
Nous faisons ;
C`est le rocher que l`eau creuse ;
C`est l`oiseau, des vents bercé,
Composé
D`une inquiétude heureuse.
Il est puissant, étoilé,
Et voilé.
Le soir, avec les murmures
Des troupeaux qu`on reconduit,
Et le bruit
Des abeilles sous les mûres,
Avec l`ombre sur les toits,
Sur les bois,
Sur les montagnes prochaines,
C`est sa grandeur qui descend,
Et qu`on sent
Dans le tremblement des chênes.
Il n`eut qu`à vouloir un jour,
Et l`amour
Devint l`harmonie immense ;
Tous les êtres étaient là ;
Il mêla
Sa sagesse à leur démence.
Il voulut que tout fût un ;
Le parfum
Eut pour soeur l`aurore pure ;
Et les choses, se touchant
Dans un chant,
Furent la sainte nature.
Il mit sur les flots profonds
Les typhons ;
Il mit la fleur sur la tige ;
Il apparut fulgurant
Dans le grand ;
Le petit fut son prodige.
Avec la même beauté
Sa clarté
Créa l`aimable et l`énorme ;
Il fit sortir l`alcyon
Du rayon
Qui baise la mer difforme.
L`effrayant devint charmant ;
L`élément,
Monstre, colosse, fantôme,
Par Lui, qui le veut ainsi,
Radouci,
Vint s`accoupler à l`atome.
On vit alors dans Ophir
L`humble asfir
Vert comme l`hydre farouche ;
Le flamboiement de l`Etna
Rayonna
Sur l`aile de l`oiseau-mouche.
Vie est le mot souverain,
Et serein,
Sans fin, sans forme, sans nombre,
Tendre, inépuisable, ardent,
Débordant
De toute la terre sombre.
L`aube se marie au soir ;
Le bec noir
Au bec flamboyant se mêle ;
L`éclair, mâle affreux, poursuit
Dans la nuit
La mer, sa rauque femelle.
Volons, volons, et volons !
Les sillons
Sont rayés, et l`onde est verte.
La vie est là sous nos yeux,
Dans les cieux,
Claire et toute grande ouverte.
Hirondelle, fais ton nid.
Le granit
T`offre son ombre et ses lierres ;
Aux palais pour tes amours
Prends des tours,
Et de la paille aux chaumières.
Le nid que l`oiseau bâtit
Si petit
Est une chose profonde ;
L`oeuf ôté de la forêt
Manquerait
A l`équilibre du monde.
Source
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