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Victor Hugo - Être aiméVictor Hugo - Être aimé
Language: fre
Work rating: Low


Écoute-moi. Voici la chose nécessaire : Être aimé. Hors de rien n`existe, entends-tu ? Être aimé, c`est l`honneur, le devoir, la vertu, C`est Dieu, c`est le démon, c`est tout. J`aime, et l`on m`aime. Cela dit, tout est dit. Pour que je sois moi-même, Fier, content, respirant l`air libre à pleins poumons, Il faut que j`aie une ombre et qu`elle dise : Aimons ! Il faut que de mon âme une autre âme se double, Il faut que, si je suis absent, quelqu`un se trouble, Et, me cherchant des yeux, murmure : donc est-il ? Si personne ne dit cela, je sens l`exil, L`anathème et l`hiver sur moi, je suis terrible, Je suis maudit. Le grain que rejette le crible, C`est l`homme sans foyer, sans but, épars au vent. Ah ! celui qui n`est pas aimé, n`est pas vivant. Quoi, nul ne vous choisit ! Quoi, rien ne vous préfère ! A quoi bon l`univers ? l`âme qu`on a, qu`en faire ? Que faire d`un regard dont personne ne veut ? La vie attend l`amour, le fil cherche le noeud. Flotter au hasard ? Non ! Le frisson vous pénètre ; L`avenir s`ouvre ainsi qu`une pâle fenêtre ; mettra-t-on sa vie et son rêve ? On se croit Orphelin ; l`azur semble ironique, on a froid ; Quoi ! ne plaire à personne au monde ! rien n`apaise Cette honte sinistre ; on languit, l`heure pèse, Demain, qu`on sent venir triste, attriste aujourd`hui, Que faire ? fuir ? On est seul dans l`immense ennui. Une maîtresse, c`est quelqu`un dont on est maître ; Ayons cela. Soyons aimé, non par un être Grand et puissant, déesse ou dieu. Ceci n`est pas La question. Aimons ! Cela suffit. Mes pas Cessent d`être perdus si quelqu`un les regarde. Ah ! vil monde, passants vagues, foule hagarde, Sombre table de jeu, caverne sans rayons ! Qu`est-ce que je viens faire à ce tripot, voyons ? J`y bâille. Si de moi personne ne s`occupe, Le sort est un escroc, et je suis une dupe. J`aspire à me brûler la cervelle. Ah ! quel deuil ! Quoi rien ! pas un soupir pour vous, pas un coup d`oeil ! Que le fuseau des jours lentement se dévide ! Hélas ! comme le coeur est lourd quand il est vide ! Comment porter ce poids énorme, le néant ? L`existence est un trou de ténèbres, béant ; Vous vous sentez tomber dans ce gouffre. Ah ! quand Dante Livre à l`affreuse bise implacable et grondante Françoise échevelée, un baiser éternel La console, et l`enfer alors devient le ciel. Mais quoi ! je vais, je viens, j`entre, je sors, je passe, Je meurs, sans faire rien remuer dans l`espace ! N`avoir pas un atome à soi dans l`infini ! Qu`est-ce donc que j`ai fait ? De quoi suis-je puni ? Je ris, nul ne sourit ; je souffre, nul ne pleure. Cette chauve-souris de son aile m`effleure, L`indifférence, blême habitante du soir. Être aimé ! sous ce ciel bleu - moins souvent que noir - Je ne sais que cela qui vaille un peu la peine De mêler son visage à la laideur humaine, Et de vivre. Ah ! pour ceux dont le coeur bat, pour ceux Qui sentent un regard quelconque aller vers eux, Pour ceux-là seulement, Dieu vit, et le jour brille ! Qu`on soit aimé d`un gueux, d`un voleur, d`une fille, D`un forçat jaune et vert sur l`épaule imprimé, Qu`on soit aimé d`un chien, pourvu qu`on soit aimé !
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