Arthur Rimbaud - Le Forgeron (The Blacksmith)Arthur Rimbaud - Le Forgeron (The Blacksmith)
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Low
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D`ivresse et de grandeur, le front large, riant
Comme un clairon d`airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d`or traînait sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle
Pâle comme un vaincu qu`on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l`empoignait au front, comme cela !
"Donc, Sire, tu sais bien, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil disait ses patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d`or.
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor,
Et l`un avec la hart, l`autre avec la cravache,
Nous fouaillaient ; Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient pas : nous allions ! nous allions !
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair... nous avions un pourboire :
- Nous venions voir flamber nos taudis dans la nuit ;
Nos enfants y faisaient un gâteau fort bien cuit !...
"Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises :
- C`est entre nous. J`admets que tu me contredises...
Or, n`est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Enormes ? De sentir l`odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l`herbe rousse ?
De voir les champs de blé, les épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
- Oui, l`on pourrait, plus fort, au fourneau qui s`allume,
Chanter joyeusement en martelant l`enclume,
Si l`on était certain qu`on pourrait prendre un peu,
Étant homme, à la fin !, de ce que donne Dieu !...
- Mais voilà, c`est toujours la même vieille histoire !
"... Oh ! je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j`ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu`un homme vienne là, dague sous le manteau
Et me dise : Maraud, ensemence ma terre ;
Que l`on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !...
- Moi, je serais un homme, et toi tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux ! - Tu vois bien, c`est stupide !...
Tu crois que j`aime à voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons ?
Ils ont rempli ton nid de l`odeur de nos filles,
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirions : C`est bien : les pauvres à genoux !...
Nous dorerions ton Louvre en donnant nos gros sous,
Et tu te soûlerais, tu ferais belle fête,
Et tes Messieurs riraient, les reins sur notre tête !...
"Non ! Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n`est plus une putain ! Trois pas,
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière !
Cette bête suait du sang à chaque pierre...
Et c`était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous rappelaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !
- Citoyen ! citoyen ! c`était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au coeur comme l`amour :
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines,
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines,
Nous marchions, nous chantions, et ça nous battait là,
Nous allions au soleil, front haut, comme cela,
Dans Paris accourant devant nos vestes sales !...
Enfin ! Nous nous sentions hommes ! Nous étions pâles,
Sire ; nous étions soûls de terribles espoirs,
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n`eûmes pas de haine :
- Nous nous sentions si forts ! nous voulions être doux !
"Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous...
Le flot des ouvriers a monté dans la rue
Et ces maudits s`en vont, foule toujours accrue,
Comme des revenants, aux portes des richards !...
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards,
Et je vais dans Paris le marteau sur l`épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !...
- Puis, tu dois y compter, tu te feras des frais
Avec tes avocats, qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes,
Et, tout bas, les malins ! Nous traitant de gros sots !
Pour mitonner des lois, ranger des de petits pots
Pleins de menus décrets, de méchantes droguailles,
S`amuser à couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous passons près d`eux,
- Ces chers avocassiers qui nous trouvent crasseux ! -
Pour débiter là-bas des milliers de sornettes
Et ne rien redouter sinon les baïonnettes,
Nous en avons assez, de tous ces cerveaux plats !
Ils embêtent le peuple !... Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous cassons déjà les sceptres et les crosses !..."
Puis il le prend au bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre, en bas, les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses clameurs, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons taché de bonnets rouges !
L`Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au Roi pâle, suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !...
spacespacespacespacespacespacespacespace"C`est la Crapule,
Sire ! ça bave aux murs, ça roule, ça pullule...
- Puisqu`ils ne mangent pas, Sire, ce sont les gueux !
- Je suis un forgeron : ma femme est avec eux :
Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries :
- On ne veut pas de nous dans les boulangeries !...
J`ai trois petits ; -Je suis crapule ! - Je connais
Des vieilles qui s`en vont pleurant sous leurs bonnets,
Parce qu`on leur a pris leur garçon ou leur fille :
- C`est la crapule. - Un homme était à la bastille,
D`autres étaient forçats ; c`étaient des citoyens
Honnêtes ; Libérés, ils sont comme des chiens ;
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! C`est terrible, et c`est cause
Que, se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils viennent maintenant hurler sous votre nez !...
- Crapules : - Là-dedans sont des filles, infâmes
Parce que -, sachant bien que c`est faible, les femmes,
Messeigneurs de la cour, que ça veut toujours bien, -
Vous leur avez sali leur âme, comme rien !
Vos belles, aujourd`hui, sont là : - C`est la Crapule...
"Oh ! tous les Malheureux, tout ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Et dans ce travail-là sentent crever leur front,
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là sont les hommes !
- Nous sommes Ouvriers ! Sire, Ouvriers ! - nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l`on voudra savoir,
Où l`homme forgera du matin jusqu`au soir,
Où, lentement vainqueur, il chassera les choses
Poursuivant les grands buts, cherchant les grandes causes,
Et montera sur Tout comme sur un cheval !
Oh ! nous sommes contents, nous aurons bien du mal !
- Tout ce qu`on ne sait pas, c`est peut-être terrible.
Nous pendrons nos marteaux, nous passerons au crible
Tout ce que nous savons, puis, Frères, en avant !...
- Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l`auguste sourire
D`une femme qu`on aime avec un noble amour !
Et l`on travaillerait fièrement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l`on se trouverait fort heureux, et personne,
Oh ! personne ! surtout, ne vous ferait plier !...
On aurait un fusil au-dessus du foyer....
"Oh ! mais ! l`air est tout plein d`une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !"
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Translation by A. S. Kline
His hand on a gigantic hammer, terrifying
In size and drunkenness, vast-browed, laughing
Like a bronze trumpet, his whole mouth displayed,
Devouring the fat man, now, with his wild gaze,
The Blacksmith spoke with Louis, with the king,
The People there, all around him, cavorting,
Trailing their dirty coats down gilded panels.
But the dear king, belly upright, was pallid,
Pale as the victim led to the guillotine,
Submissive like a dog, cowed by the scene,
Since that wide-shouldered forge-black soul
Spoke of things past and other things so droll,
He had him by the short hairs, just like that!
‘Now, Sir, you know how we’d sing tra-la-la,
And drive the ox down other people’s furrows:
The Canon spun paternosters in the shadows
On rosaries bright with golden coins adorned,
Some Lord, astride, passed blowing on his horn,
One with the noose, another with whip-blows
Lashed us on. – Dazed like the eyes of cows,
Our eyes no longer wept; on and on we went,
And when we’d ploughed a whole continent,
When we had left behind in that black soil
A little of our own flesh…to reward our toil:
They’d set alight our hovels in the night;
Our little ones made burnt cakes alright.
…Oh, I’m not complaining! All my follies,
They’re between us. I’ll let you contradict.
But, isn’t it fine to see, in the month of June,
The enormous hay-wains entering the barns?
To smell the odour of burgeoning things,
The orchards in fine rain, the oats reddening?
To see wheat, wheat, ears filled with grain,
To think it promises us good bread again?...
Oh! You’d go to the forge, be more cheerful,
Sing and hammer joyfully at the anvil,
If you were sure to gain a little in the end –
Being, in fact, a man – of what God intends!
– But there it is, always the same old story!...
But now I know! I don’t credit it any more,
Owning two strong hands, a head, a hammer,
That a man in a cloak, wearing a dagger
Can say: go and sow my land, there, fellow;
Or that another, if maybe war should follow,
Can take my son like that, from where I’m living!
– Suppose I were a man, and you a king,
You’d say: I will it!... – What stupidity.
You think your splendid barn pleases me,
Your gilded servants, your thousand rogues,
Your fancy bastards, peacocks in a row:
Filling your nest with our daughters’ odour,
Warrants to the Bastille for us, moreover
That we should say: fine: make the poor poorer!
We’ll give you our last sous to gild the Louvre!
While you get drunk and enjoy the feast,
– And they all laugh, riding our backs beneath!
No. Those puerilities were our fathers!
The People is no one’s whore now, three steps further
And then, we razed your Bastille to the ground.
That monster sweated blood from every mound,
Was an abomination, that Bastille standing,
With leprous walls its every story yielding,
And, we forever held fast in its shadow!
– Citizen! That was the past, its sorrow,
That broke, and died, when we stormed the tower!
We had something in our hearts like true ardour.
We had clutched our children to our breast.
And like chargers, snorting at the contest,
We went, proud and strong, beating here inside…
We marched in the sun – like this – heads high
Into Paris! They greeted us in our ragged clothes.
At last! We felt ourselves Men! We were sallow,
Sire, drunk, and pallid with terrifying hopes:
And there, in front of those black prison slopes,
Waving our bugles and our sprigs of oak,
Pikes in our fists; did we feel hatred, no!
– We felt such strength we wanted to be gentle! ...
And since that day, we have proved elementals!
A mass of workers sprang up in the street,
And, cursed, are gone, a swelling crowd replete
With ghostly shades, to haunt the rich man’s gate.
I, I run with them, and set informers straight:
I scour Paris, dark-faced, wild, hammer on shoulder,
Sweeping something droll out of every corner,
And, if you smile at me, then I’ll do for you!
– Well, count on it: all this is going to cost you
And your men in black, culling our requests
To bat them about on their racquets all in jest,
And whisper, the rascals, softly: “Oh, what sots!”
To cook up laws, and stick up little pots,
Filled with cute pink decrees, and sugar pills,
Cutting us down to size, to amuse themselves,
Then they hold their noses when we pass by,
– Our kind representatives who hate the sty! –
Fearful of nothing, nothing, but bayonets….
That’s fine. Enough of snuff and lorgnettes!
We’ve had our fill, here, of those dull heads
And bellies of gods. Ah! That’s the bread
You serve us, bourgeoisie, while we rage here,
While we shatter the sceptre and the crozier!...’
He takes his arm, tears back the velvet curtain
And shows the vast courtyards beneath them,
Where the mob swarms, and seethes, where rise,
Out of the frightful mob those storm-filled cries,
Howling as bitches howl, or like the sea,
With their knotted stakes, their pikes of steel,
With the clamour of their market-halls and slums,
A ragged mass of blood-stained caps, and drums:
The Man, through the open window, shows all
To the pale sweating king, reeling, about to fall,
Sick at the sight of it!
‘Those are the Scum, Sire.
Licking the walls, seething, rising higher:
– But then they’ve not eaten, Sire, these beggars!
I’m a blacksmith: my wife, madwoman, is there!
She thinks she’ll get bread at the Tuileries!
– They’ll have none of us in the bakeries.
I’ve three youngsters. I’m scum, too – I know
Old women weeping under their bonnets so
Because they’ve taken a daughter or a son:
One man was in the Bastille – oh, they’re scum –
Another the galleys: both honest citizens.
Freed, they’re treated like dogs, these men:
Insulted! Then, they have something here
That hurts them, see! It’s terrible, it’s clear
They feel broken, feel themselves damned,
There, screaming beneath you where you stand!
Scum. – Down there girls, infamous, shriek,
Because – well, you knew girls were weak –
Gentlemen of the court – gave all you sought –
You’d spit on their souls, as if they were naught!
Now, your pretty ones are there. They’re scum.
Oh, all the Wretched, whose backs, in the fierce sun
Burn, and yet they still work on and on,
Feeling their heads burst with their exertion,
Hats off, you bourgeoisie! Those are Men.
We are the Workers, Sire! Workers! And then
We’re for the great new age, of knowledge, light,
When Man will forge from morning to night,
Pursuing great effects, chasing great causes,
When he will tame things, slowly victorious,
And like a horse, mount the mighty All!
Oh! Splendour of the forges! And no more
Evil, then! – What’s unknown, its terror maybe
We’ll know! – Hammer in hand, let’s sieve freely
All that we know: then, Brothers, we’ll go on!
Sometimes we dream that dream’s vast emotion
Of the simple ardent life, where you revile
All evil, working beneath the august smile,
Of a woman you love with love’s nobility:
And all day long you labour on proudly,
Hearing the clarion call of duty sounding!
And you feel so happy; and nothing, nothing,
Oh, above all, no-one makes you kneel!
Over the fireplace, there, you’d have a rifle…
Oh! But the air is filled with the scent of battle.
What did I say? I too am one of the rascals!
And there are still sharks and informers.
But we are free! With our moments of terror
When we feel we are great, so great! Just now
I was talking of peaceful work, of how…
Look at that sky! – Too small for us, you see,
If we feared the heat, we’d live on our knees!
Look at that sky! – I’ll return to the crowd,
To the vast fearful mob who cry aloud
And roll your cannon through the cobbles’ sty;
– Oh! We will wash them clean when we die!
– And if, against our cries and our vengeance,
The claws of old gilded kings, all over France,
Urge on their regiments in full battle-dress,
Well then, you lot? Shit to those dogs, no less!’
– He shoulders his hammer once more.
The crowd
Feels soul-drunk close to that man, and now
Through the great courtyard, all those rooms,
Where Paris pants and the voices boom,
A shudder shakes the immense populace.
Then, with his broad hand, its grimy grace
Gilded, while the pot-bellied king sweats,
The Blacksmith set his red cap on that head!
Source
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